Comment résumer ces quatre jours de navigation entre Las Palmas et Palmeira, sur l’île de Sal, au Cabo Verde ?
Ce fut une belle navigation, rapide et relativement confortable. Nous avons eu un vent plutôt stable et constant tout au long de notre descente vers le sud, soufflant entre 20 et 25 noeuds, jamais plus, parfois moins, qui nous venait entre 125 et 140° sur bâbord. Un angle qui variait très peu en réalité : ce sont juste quelques changements de route afin d’aller chercher un meilleur vent qui en modifiaient les caractéristiques.
Dans ces conditions, notre belle « Bora » (c’est le nom du modèle de voile que nous avons choisi chez Oxley Sails) à rempli toutes nos attentes : nous n’avons pas une seule fois eu besoin d’en modifier les réglages, elle nous a propulsés entre 8 et 12 noeuds, le plus souvent entre 9 et 10 durant de longues heures. Rapide, mais pas trop pour un Outremer 55.
Il est probable qu’avec d’autres voiles nous aurions été bien plus rapides, entre 14 et 17 noeuds d’après la polaire communiquée par Outremer. Et je sais que certains propriétaires visent ces performances avec leurs catamarans. Pas nous . Nous exploitons Ti’amā à environ 60% de ses capacités. Un peu comme rouler à 130 sur une autoroute allemande non limitée avec une Aston Martin .
Béa a été un peu patraque durant une partie de la traversée. Pas vraiment le mal de mer, mais pas la pêche non plus. Le coup de froid que nous avons pris à Noël en France doit y être pour quelque chose. Ici, à Palmeira, il fait 25° ce matin, l’océan est à 26°. Enfin un climat tropical !
Nous avons eu de belles journées ensoleillées, sans nuage hormis parfois le matin, en haute altitude. Et la quasi pleine lune a éclairé notre descente, nous masquant les étoiles mais nous laissant apercevoir les vagues et leur écume blanche.
Les vagues, justement : nous avons eu une houle sur notre arrière bâbord, pas tout à fait dans le sens du vent, qui nous a secoués, parfois copieusement, durant toute la navigation. 2 à 3m de creux, ça n’est pas excessif. Mais les crêtes espacées de 6 à 7 secondes faisaient basculer Ti’amā en diagonale assez régulièrement. Aucun risque, aucun danger, mais un manque de confort relatif. Une seule fois, peu avant d’arriver à Sal, un train de houle nous a secoués plus que de raison, faisant pour la toute première fois sur Ti’amā tomber quelques trucs des tables, des plans de travail ou des placards. Pas de casse.
Toute cette houle nous a apporté pas mal d’eau salée sur le pont, les trampolines étant copieusement rincés par des giclées d’eau de mer impressionnantes. Nos vitrages extérieurs sont recouverts de sel, comme le pont, les cordages, l’accastillage. Nous avons même eu des entrées d’eau dans le cockpit, à l’arrière, quand une vague plus grosse que les autres nous rattrapait alors que Ti’amā avait ses deux étraves soulevées par la précédente. Rincer Ti’amā, va nous occuper un bout de temps !
Nous avons plutôt bien dormi durant ces quatre jours et ces quatre nuits. Malgré les mouvements que je décris ici, Ti’amā est en réalité très stable, bien plus que ne l’aurait été Jasmin (notre ancien monocoque) dans les mêmes conditions. C’est l’énorme avantage du catamaran, a fortiori d’un Outremer. Et avancer à l’aide de la seule Bora tire le bateau par l’avant et un peu par le haut, absorbant ainsi une partie de l’inconfort et du stress d’une navigation soutenue.
Nous avons peu mangé, et certainement pas assez bu.
Nos journées étaient essentiellement consacrées à la lecture. Et dans la mesure où nous sommes restés quatre jours sous le même bord avec la même voile, la gestion de la navigation consistait à changer très légèrement de cap une ou deux fois par jour, de quelques degrés, pour rester dans un bon flux de vent. Merci la télécommande de pilote automatique : un truc de feignant cet accessoire .
Je n’ai pas mis les lignes de pêche à l’eau. Nos frigos étaient remplis, nous n’avions pas l’utilité de pêcher, et dans ces conditions, attraper un poisson et le remonter doit être plutôt sportif et mouvementé . Ce sera pour la transat, dans un mois ou deux…
Comme tout le monde ici, nous avons embarqué des passagers clandestins : des poissons volants. A l’arrivée sur Sal j’en ai compté 23, répandus sur les trampolines et sur le pont, en en oubliant un ou deux, et sans compter ceux des nuits précédentes. Ça se mange, paraît-il. Mais dans ces conditions de mer, franchement, je n’avais pas envie d’aller les récupérer à l’avant et de me faire arroser !
Finalement, les seules difficultés véritables que nous avons rencontrées ont été la remise de la Bora dans sa chaussette à l’arrivée, l’installation au mouillage par 24 noeuds et la récupération de la voile sur les trampolines.
Redescendre la chaussette sur la voile, quand il y a pas mal de vent, n’est pas une chose simple. La prise au vent de l’ensemble est considérable. Je vous rappelle le principe : notre belle voile magique, un triangle équilatéral, est attachée en tête de mât et sur chacune des coques, par deux cordages spécifiques de chaque côté. Deux sur les étraves (les « bras ») et deux sur les poulies arrières (les écoutes). En navigation, la voile est souvent décalée sur l’un des côtés, et tenue au vent par le bras, bordée par l’écoute sous le vent.
La voile est au départ glissée dans une chaussette, elle-même attachée en tête de mât. Quand on envoie la voile, on tire sur un bout spécial qui remonte la chaussette jusqu’en haut, libérant la voile sans effort, qui se gonfle toute seule grâce au vent.
Quand on veut changer de voile ou cesser son utilisation, on redescend la chaussette jusqu’en bas, en tirant (fort) sur un autre bout. Principe simple popularisé par Éric Tabarly.
Le problème est que quand la voile est gonflée par le vent, elle développe plusieurs tonnes de traction. Il faut donc relâcher tout ça au maximum pour la laisser flotter librement dans le vent si on veut espérer redescendre la chaussette sans tirer comme une brute. On conserve alors le côté au vent attaché par le bras, tendu autant que possible sur l’étrave, et on libère complètement l’écoute de l’autre côté. Oui mais quand il y a « beaucoup » de vent, l’écoute que l’on libère fouette alors sauvagement dans l’air, au risque de casser quelque-chose ou de blesser quelqu’un…
Bref, la manœuvre fut sportive, nous avons fini vent arrière, les deux moteurs engagés à fond pour diminuer autant que possible la prise au vent de la voile… On perfectionnera la chose au fur et à mesure…
Pour le mouillage, rien de bien nouveau : vent poussant vers le large, un fond probablement sablonneux, une ancre qui n’accroche pas au premier essai, un repositionnement un peu plus loin, mais sur des rochers, et un retour à la place initiale, avec une manœuvre plus soignée. 50m de chaîne avec la patte d’oie sur 6m de fond : c’est largement trop, mais ça ne bougera pas . Enfin, j’espère .
Enfin, quand on a voulu descendre la chaussette sur le trampoline pour ranger la voile dans son sac, on a constaté qu’elle s’était enroulée plusieurs fois autour de l’étai, à l’avant. Eh oui, à force de tourner en rond pour le,mouillage, on entortille des trucs si on ne fait pas attention !
On a réussi à défaire deux tours, mais pour le dernier, rien à faire : c’est Stéphane, du catamaran Boomerang (https://www.facebook.com/catamaranboomerang, juste à côté, qui est venu avec un ami nous arranger tout ça. Il est monté en tête de mât, et là il a pu défaire le dernier tour qui empêchait la voile de redescendre.
Son ami gérait la montée et la descente en haut du mât, Béatrice libérait la drisse afin de permettre à la chaussette de descendre et de mon côté je récupérais le tout sur le trampoline, contre le vent. Nous n’étions pas de trop de quatre pour faire tout ça. Si nous avions dû le faire à deux, ça aurait été plus long…
Merci les amis : nous nous connaissions via facebook interposé, le coup de main inattendu permettra d’organiser un petit apéro sur Ti’amā .
Voilà, en substance, ces quatre jours de voyage. Hier dans l’après-midi nous sommes allés dans le village de Palmeira chercher des espèces locales et une carte SIM pour pouvoir communiquer avec le reste du monde. Tout à l’heure on aura à bord Bruno Deslandes et ses amis (Outremer ancienne génération), avec lequel j’ai souvent échangé sur le groupe facebook Outremer.
Demain on descendra faire les formalités d’entrée au Cabo Verde (depuis 2013 le pays ne s’appelle plus Cap Vert, mais Cabo Verde, même en français), et on commencera à organiser notre séjour dans l’archipel…
A suivre…